La reconstruction mammaire totale par tissus autologues

Introduction

La reconstruction mammaire utilisant les tissus autologues représente actuellement le «gold standard», c’est à dire le meilleur et premier choix de reconstruction. Les patientes qui présentent un excès de tissus au niveau de l’abdomen, des fesses ou des cuisses peuvent prétendre à ce type de reconstruction. Le sein reconstruit aura un aspect naturel, souple et chaud au toucher. Les cicatrices s'estompent au fil du temps et le volume du sein varie avec les fluctuations de poids. La reconstruction par tissus autologues offre donc systématiquement les résultats les meilleurs et les plus stables sur le long terme.

Les tissus autologues peuvent être irradiés, si nécessaire, dans le cadre du traitement du cancer du sein, bien que le rayonnement puisse indurer une partie de la graisse et réduire le volume global de la reconstruction.

L'expérience montre que la reconstruction mammaire par tissus autologues est moins coûteuse que la reconstruction utilisant les autres techniques, puisque de nouvelles interventions chirurgicales sont rarement nécessaires. Cela profite à la fois à la patiente et au système de santé (publique ou privé).

Le principal inconvénient de la reconstruction par tissus autologues est la durée opératoire prolongée, puisque l’intervention chirurgicale initiale est plus compliquée. Il y a aussi le risque de perte partielle ou complète du lambeau, si des problèmes surviennent. Finalement, les patientes doivent accepter des cicatrices additionnelles ailleurs sur leur corps.

Toute patiente en suffisamment bonne forme et prête à endurer une longue opération chirurgicale est susceptible de bénéficier d’une reconstruction par tissus autologues. Les mauvaises candidates sont celles qui sont mal informées ou démotivées. Les fumeuses doivent arrêter de fumer 6 mois avant la chirurgie.

L'abdomen: lambeau DIEAP ou SIEA

Si une grande quantité de peau et de graisse sont nécessaires, le lambeau DIEAP (Deep Inferior Epigastric Artery Perforator) est le choix idéal. Beaucoup de femmes ont un excès de tissus entre le pubis et l'ombilic, ce qui permet la reconstruction de seins volumineux et la fermeture sans tension du site de prélèvement. La graisse de cette région est souple, sa consistance ressemble à celle du sein naturel. La texture et la couleur de la peau sont également similaires, et la reconnexion des nerfs sensitifs à ces tissus est possible.

En cas d’excès cutané mais avec une quantité de graisse insuffisante du site de prélèvement, on peut avoir recours à un lambeau DIEAP pour servir de «matrice vascularisée".  La technique du lipofilling permettra ensuite d’augmenter le volume du lambeau pour obtenir la symétrie mammaire.

S'il apparaît au cours de l’opération que l'approvisionnement en sang des tissus du ventre provient principalement de l'artère et des veines épigastriques inférieures superficielles, le chirurgien prélèvera un lambeau SIEA (de l’artère épigastrique inférieure superficielle) à la place du lambeau DIEAP. Ce lambeau SIEA est identique au lambeau DIEAP, mais il est associé à une morbidité du site de prélèvement encore plus faible parce que le fascia musculaire profond n'est pas incisé.

La cicatrice du site de prélèvement est positionnée suffisamment bas lors du prélèvement de ces deux lambeaux abdominaux  pour pouvoir être dissimulée par un sous-vêtement ou un maillot de bain. 

Fesse: les lambeaux SGAP et IGAP

Le lambeau perforateur de l'artère fessière supérieure (SGAP) et le lambeau perforateur de l’artère fessière inférieure (IGAP) sont des alternatives s'il n'y a pas de tissus donneurs en quantité suffisante sur le ventre ou en présence de cicatrices abdominales étendues. Les lambeaux fessiers sont également une possibilité de reconstruction lorsque l'abdomen a déjà été utilisé (reconstruction tertiaire).

Les femmes à morphotype ascétique peuvent également bénéficier d’une reconstruction par ce type de lambeaux. En effet, même les patientes pesant moins de 50 kg ont souvent assez de graisse à la partie supérieure de leurs fesses pour permettre une reconstruction. La cicatrice du site de prélèvement d'un lambeau SGAP peut facilement être cachée, même si une certaine asymétrie de la région fessière est souvent visible en post-opératoire.

Le lambeau I-GAP est une option de reconstruction pour les patientes qui présentent un affaissement de leurs fesses. La dissection d'un lambeau I-GAP peut cependant exposer le nerf sciatique ou les nerfs moteurs pour les muscles fessiers et la cicatrice qui en résulte peut être plus difficile à dissimuler.

Le dos

Le lambeau perforateur de l'artère thoraco-dorsale (TDAP) et le lambeau pédiculé musculo-cutané du grand dorsal (lambeau latissimus dorsi – lambeau LD) peuvent également être utilisés pour la reconstruction complète du sein, mais nécessitent l'insertion simultanée d'un implant mammaire pour obtenir un volume suffisant. Il s’agit donc de combiner la chirurgie compliquée des lambeaux avec les inconvénients de la reconstruction par implants. C’est pourquoi ce type de reconstruction ne nous sert que de solution de secours pour les reconstructions mammaires ayant précédemment échoué.

Un autre site donneur potentiel est le bas du dos. La région lombaire, juste au-dessus de la crête iliaque, présente une épaisse couche de graisse souple. Un lambeau perforateur de l’artère lombaire perforateur (LAP) peut y être prélevé. On pourra ensuite facilement le modeler en un beau sein, mais il nécessite une opération complexe de microchirurgie. L'artère et de la veine alimentant le lambeau sont courtes, il faut donc les rallonger par un greffon supplémentaire de vaisseaux provenant de l'aine, interposé entre les vaisseaux donneurs et receveurs. 

Le haut de la cuisse

Des lambeaux basés sur les perforantes des artères circonflexes fémorales médiale ou latérale (lambeau MCFAP ou LCFAP) seront uniquement utilisés si suffisamment de tissu adipeux excédentaire est présent du côté médial ou respectivement latéral de la cuisse. Ces lambeaux laissent des cicatrices disgracieuses que de nombreuses femmes trouvent inacceptables. On n’envisagera de les utiliser qu’après avoir exclu les autres sites donneurs potentiels. 

L'aine

Les lambeaux provenant des artères circonflexes iliaques superficielle (SCIAP) ou profonde (DCIAP) sont très rarement utilisés en raison de leur faible volume, du manque de fiabilité de leur approvisionnement en sang et de la difficulté technique de leur dissection (en particulier le système profond).

 

Choix de lambeauxAvantagesDésavantages
DIEAP

Premier choix

Grande quantité de peau et de graisse disponibles

Cicatrice entre le pubis et l’ombilic
SIEA

Alternative au DIEAP si la vascularisation superficielle domine

Morbidité du site de prélèvement diminuée

Cicatrice entre le pubis et l’ombilic

Petite artère spastique

Seule la moitié du lambeau est fiable sauf si la patiente a un BMI élevé

SGAP, IGAP

Deuxième choix

Tissus donneurs généralement suffisants

Cicatrice du site de prélèvement facile à dissimuler

Petite palette cutanée, donc plus adapté à la reconstruction primaire

Consistance plus rigide, difficile à modeler

Inégalité de diamètre entre vaisseaux donneurs et receveurs

Asymétrie fessière suite au prélèvement

LAP

Epaisse couche de graisse souple

Facile à modeler

Dissection facile, vaisseaux perforateurs de bon diamètre

Vaisseaux (vx) perforants courts nécessitant une interposition de vx

Chirurgie plus longue

Petite augmentation du risque de thrombose

LCFAP                  Dissection facile du lambeau Grande cicatrice visible du site de prélèvement
MCFAP-grac Dissection facile du lambeau

Le muscle gracilis est fréquemment prélevé avec le lambeau

Volume du lambeau limité

Morbidité additionnelle du site de prélèvement: cicatrice à la face interne de la cuisse, déplacement de la vulve, irrégularités du contour, lymphœdème du membre inférieur

SCIAP et DCIAP Cicatrice du site donneur facile à dissimuler

Volume du lambeau limité

Anatomie vasculaire variable

 

Préparation pré-opératoire

La sélection adéquate des patientes est la clé du succès de la reconstruction mammaire microchirurgicale élective par lambeau DIEAP.

Une anamnèse complète et un examen physique ont lieu lors de la première consultation. Les comorbidités et les cicatrices déjà présentes sur les sites donneurs potentiels sont notées. Une ancienne abdominoplastie est une contre-indication absolue à un lambeau DIEAP ou SIEA, alors qu’une lipoaspiration de l'abdomen ou de la région fessière n’est qu’une contre-indication relative. Si on envisage une reconstruction par lambeau DIEAP / SIEA ou par lambeau fessier malgré une précédente liposuccion, un duplex préopératoire détaillé ou un CT-scan des vaisseaux cutanés est essentiel.

La patiente doit être en bonne santé générale pour pouvoir supporter la chirurgie et l’anesthésie de longue durée associées au transfert de tissus libres. L'âge n'est pas limité, même si nous préférons habituellement opérer des patientes de moins de 85 ans. On recommande aux patientes obèses de perdre du poids afin de limiter l'incidence des complications préopératoires.

Les fumeuses doivent arrêter au moins six mois avant la chirurgie. En effet, le tabagisme multiplie par dix le risque d'hémorragie, d'infection et de retard de cicatrisation.

Les patientes doivent indiquer toute prise régulière de médicaments. L'aspirine, les anti-inflammatoires non-stéroïdiens et tous les médicaments à base de plantes doivent être évités durant les trois semaines précédant la chirurgie. On peut aussi vous recommander d’arrêter le tamoxifène en raison du risque augmenté de thrombose et d'embolie.

Une explication détaillée de l’opération est donnée, y compris les risques et les complications possibles, à la fois pour le site donneur et pour le site receveur. Les soins, l’évolution et la récupération post-opératoires habituels sont expliqués. Toute question résiduelle est satisfaite, et la motivation de la patiente est évaluée. Toute personne indécise quant à l’intervention doit avoir le temps nécessaire pour y réfléchir ou bénéficier d’un autre type de reconstruction mammaire.

Les examens préopératoires comprennent une étude de l'anatomie vasculaire de la plupart des sites donneurs potentiels. Par exemple, bien qu'il soit possible de prélever un lambeau DIEAP sans connaître la taille et la position exactes des perforantes, nous pensons qu'il est plus sûr et plus rapide de le faire en possédant ces informations à l'avance. Une angiographie par scanner est donc effectuée systématiquement pour les lambeaux DIEAP, afin de créer une carte en trois dimensions des vaisseaux perforants avec leurs coordonnées centrées sur l'ombilic. Non seulement l'emplacement et le diamètre des vaisseaux sont évalués, mais aussi leur flux sanguin et l’arborisation de leurs affluents. Cela contribue grandement à la bonne planification.

L'anatomie vasculaire des lambeaux fessiers varie beaucoup moins. C’est pourquoi un examen Doppler préopératoire manuel est généralement suffisant.

Les vaisseaux mammaires internes sont aussi évalués, car ils sont nos vaisseaux receveurs préférés en reconstruction mammaire.

D'autres examens préopératoires peuvent être organisés en fonction de vos différents problèmes de santé.

Il est conseillé d'éviter les aliments riches en fibres la veille de l'intervention et de ne pas manger ni boire après minuit. Préparez à l’avance de la nourriture, des boissons et des médicaments contre les douleurs en prévision de votre retour à domicile, surtout si vous vivez seule. Il peut aussi être utile d’organiser une aide ménagère pour la durée de votre rétablissement, que ce soit  par la famille et les amis ou par le biais de votre assureur médical.

Évitez l’utilisation des lotions, crèmes et parfums sur votre peau au cours des 24 heures avant l'intervention. Prenez avec vous des vêtements confortables, amples et élastiques car votre mobilité sera réduite immédiatement après votre opération. Votre séjour à l'hôpital dure habituellement entre 4 et 8 jours, s'il n'y a pas de complication.

Une fois à l’hôpital, on vous demandera de laver votre peau avec un savon désinfectant, de mettre des bas de compression et de vous raser la région pubienne. Votre chirurgien dessinera les marquages nécessaires à la chirurgie et prendra des photographies préopératoires. Les infirmières vous amèneront ensuite en salle d'opération.